Haute-Savoie : pourquoi est-il si difficile de faire construire sa maison ?
La construction de maisons individuelles en Haute-Savoie a du plomb dans l’aile. Ceux qui veulent se lancer dans un tel projet en 2024 devront s’accrocher. Tant sur le plan administratif que financier.
D’ailleurs, les Haut-Savoyards sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge. En 2023, le lancement de seulement 2 000 maisons a été effectué dans le département, et tout juste 2 300 permis de construire ont été acceptés à l’échelle du département, selon les derniers chiffres de l’Observatoire régional de la filière construction 1.
Des chiffres globalement en chute de 25 % par rapport à l’année 2022 qui accusait déjà une baisse d’environ 10 %. La production de maisons n’a jamais été aussi basse depuis 2009, juste après la crise des “subprimes” ².
La fin du rêve ?
Derrière ce marasme, plusieurs causes sont concomitantes. « La hausse des coûts des matériaux, les permis de construire trop souvent refusés, les plans locaux d’urbanisme (PLU) contraignants… Sans oublier la hausse des taux de crédit qui a fortement réduit les capacités financières des acquéreurs », liste, pêle-mêle, Nicolas Bonnet, directeur général du groupe Artis, constructeur de maisons individuelles, et président du Pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment (FFB) des Savoie. « Tout s’abat en même temps sur le secteur de la construction de maisons. »
Un sentiment d’acharnement d’autant plus renforcé par le durcissement des normes environnementales appliquées à la construction.
Les nouvelles maisons doivent satisfaire aux ambitions de la réglementation environnementale RE2020, entrée en vigueur début 2022 : excellente isolation, recours à des matériaux bas carbone, système de chauffage performant… « Des ambitions tout à fait louables mais qui gonflent le prix de vente final d’une maison neuve », expose Jean-Luc Lachard, président régional du Pôle Habitat de la FFB. « Résultat, les ménages capables de s’offrir un pavillon ne sont plus très nombreux. »
Un terrain, mais à quel prix ?
Réaliser son rêve de maison individuelle semble de plus en plus réservé à quelques privilégiés. En effet, si en France le coût de construction moyen d’une maison atteint aujourd’hui 192 000 €, il faut plutôt un budget autour de 280 000 € en Pays de Savoie, selon les professionnels de la construction présents sur le territoire.
Et il faut encore poser cette maison sur un terrain. En Haute-Savoie, le budget médian, tous types de terrains confondus, atteint désormais 180 000 €, en hausse de 6 % sur un an.
Cette augmentation traduit, encore et toujours, la rareté des parcelles. D’ailleurs, les notaires font état de 1 120 terrains vendus en 2023 en Haute-Savoie, soit le plus bas niveau des 10 dernières années.
Pénurie dans les zones attractives
La pénurie est particulièrement marquée dans les zones les plus attractives du département. Le budget médian pour un terrain grimpe ainsi à 342 000 € autour du lac d’Annecy, 232 000 € dans le Genevois ou 288 000 € dans le secteur du Mont-Blanc.
« Et ce manque de foncier disponible va s’amplifier dans les années à venir, au regard des objectifs fixés par la loi Zéro artificialisation nette (Zan) », ajoute Nicolas Bonnet.
Accepter de s’éloigner
« Entre le début des recherches d’un terrain et la signature de la vente, il peut souvent s’écouler une année entière », prévient Maître Marie-Ange Bartoli-Crepin de la Chambre interdépartementale des notaires de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Le foncier des centres-villes étant fléché par les municipalités vers la construction d’immeubles, ne reste que les zones périphériques.
« Mais désormais, même en première couronne, cela devient compliqué, que ce soit autour d’Annecy ou dans le Genevois. De très nombreuses communes bloquent les permis de construire ou mettent de longs mois à les délivrer, décourageant certains acquéreurs », note Fabrice Moretti, président d’Eden Home, constructeur présent sur le territoire.
Plus de contraintes
Il faut donc nécessairement s’éloigner, accepter d’aller dans des zones un peu plus rurales. Les secteurs de l’Albanais, de Faverges, de Frangy ou de la Vallée de l’Arve s’affichent ainsi comme les dernières alternatives.
Avec des parcelles au prix médian autour de 140 000 €, il est encore possible de produire quelques maisons à des prix sous la barre des 400 000 € tout compris.
Un éloignement qui implique aussi d’autres contraintes, notamment en termes de déplacement. « Tous ces secteurs sont depuis longtemps des marchés de report. Mais leurs infrastructures routières commencent à saturer. C’est le cas de l’Albanais notamment », observe Fabrice Moretti.
Qui peut encore acheter ?
Pour la plupart des constructeurs, la messe est dite : la maison individuelle devient un rêve élitiste que seuls quelques ménages vont pouvoir concrétiser.
Mi-février, le Premier ministre Gabriel Attal semblait pourtant vouloir redonner toute sa place au pavillon individuel dans le parcours résidentiel des Français.
« J’assume de vouloir continuer à permettre le développement de la maison individuelle en France », déclarait-il, à rebours des orientations politiques menées depuis des années.
Une feuille de route serrée
Mais si ces déclarations ont pu susciter une lueur d’espoir, le gouvernement a, dans le même temps, commencé à appliquer sa feuille de route budgétaire pour 2024 qui met fin au prêt à taux zéro (PTZ) pour l’achat d’une maison neuve.
« Sans ce coup de pouce, ces acquéreurs peuvent encore moins concrétiser leur projet, en particulier en Haute-Savoie », déplore Nicolas Bonnet.
Ceux qui font construire sont des clients âgés d’au moins 40 ans, disposant d’importants apports ou travaillant en Suisse, avec de hauts revenus.
Un bon placement
C’est ce qui explique d’ailleurs pourquoi les projets qui sortent de terre montent en gamme. Et c’est ce qui fait dire à Nicolas Bonnet « qu’acheter une maison neuve actuellement est un très bon placement. Le pavillon individuel va se raréfier et sa valeur de revente va exploser. »
Car, bien que de plus en plus élitiste, la demande est là : la maison fait encore rêver 8 Français sur 10, pour qui c’est “l’habitat idéal” 3.
Le mouvement est déjà en marche : le budget médian pour acquérir une maison ancienne dans le département a bondi de 376 000 € à 467 000 € entre 2020 et 2024.
Dans le même laps de temps, ce budget a explosé de 596 000 € à 810 000 € pour une maison autour du lac d’Annecy.
1 de la CERC Auvergne-Rhône-Alpes
² Trop endettés, les ménages américains ne parvenaient plus à rembourser leur crédit immobilier, ce qui a conduit à la crise de 2008
3 Sondage mené en 2022 par la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles (FFC) et l’Institut Ifop